LES INSCRIPTIONS 
EN CARACTÈRES IBÈRES D’AUBAGNAN DANS LES LANDES  
  
Le contexte de leur découverte et les nombreux
problèmes que posent ces inscriptions « ibéro-aquitaniques »

 

Gorrochategui, à propos des inscriptions en langue ibérique découverte en 1914 en Aquitaine, plus précisément à Aubagnan dans les Landes, au sud-est de Saint-Sever :

« Podemos afirmar que se trata de textos escritos en objetos importados y por ello ajenos totalmente al ámbito cultural y lingüístico aquitano. »

 
Joaquín Gorrochategui, 1984,
Estudio sobre la onomástica indígena de Aquitania,
Bilbao. p. 50, § 3.2.1.

Mais qu'en est-il vraiment ? 
 

 


 


  Des inscriptions en caractères ibères ont été découvertes dans les Landes, à Aubagnan, à une quinzaine de kilomètres au sud-est de Saint-Sever, en 1914 par P. Dubalen, conservateur du Musée de Mont-de-Marsan (Dubalen, géologue, préhistorien et naturaliste landais de la fin XIXème - début XXème siècle ; les inscriptions ont été trouvées dans le contexte de la fouille du tumulus n° III de la lande de Mesplède à Vielle-Aubagnan - le tumulus avait en effet livré un riche mobilier métallique, dont une phiale à inscriptions en langue ibère), une d'entre elles ayant été redécouverte (les spécialistes en avaient perdu la trace) le 6 décembre 1956 par René Lafon et Maurice Prat, ce dernier étant à l’époque conservateur du Musée Dubalen de Mont-de-Marsan. Les lecteurs intéressés par le sujet pourront consulter un article de plusieurs pages écrit par René Lafon (1956 : 5-10), article où toutes les questions que soulèvent cette découverte sont abordées. En 1914, Dubalen (1914 : 217-218) faisait part de sa découverte :

« [U]ne inscription en repoussé sur banderole d’argent [en bas de page, il note : “un morceau de la feuille d’argent porte au revers des traces de soudure d’or”] enchâssée en partie dans une cotte de maille faite de petits anneaux en fer et en bronze. Ces objets, accompagnés d’armes en fer brisées et brûlées, étaient à côté d’un monument funéraire composé de trois vases, savoir : un grand pot contenant des os calcinés sans trace de cendres [les Ibères à proprement parler avaient également l’habitude de pratiquer l’incinération de leurs morts comme le rappelle Henri Gavel (1931 : 229)], dans lequel se trouve une petite urne emplie de cendres fines ; ces deux vases recouverts par un troisième en forme de coupe, ce dernier en position renversée sur les premiers. Le nombre de ces monuments funéraires à trois vases, trouvés dans cinq tertres funéraires, est de 120 environ jusqu’à cette heure. Les tertres sépulcraux sont entourés par des tertres d’habitation dont le nombre varie de 10 à 25 par groupe. Jusqu’à cette heure nous en connaissons un millier dans le bassin de l’Adour. »

 

Il poursuivait :

 

« Dans un très récent voyage à Agen, mon aimable collègue M. Moméja m’a montré des vases absolument semblables trouvés près d’Agen. On peut conclure que le même peuple a habité toute la région entre le Garonne et les Pyrénées. Un grand nombre de vases sont ornementés par des mamelons souvent inscrits dans des circonférences. Quelques autres portent des ornementations en chevrons ; leur forme est très variable de même que leur volume. Les deux tiers environ de ces monuments reposent sur des armes, l’autre tiers est accompagné de bijoux en bronze, fibules, bracelets, agrafes, rondelles d’épingles, etc. La banderole d’argent qui porte l’inscription est ornée sur un bout par une tête de cerf avec ses bois, en repoussé ».

En 1927, écrit René Lafon, P. Dubalen mentionne de nouveau « la cotte de maille renfermant sur feuille d’argent l’inscription (…) [ces] bijoux exceptionnellement précieux indiquent bien la richesse d’un chef puissant (c’est nous qui soulignons). Le dessin qu’il donne [Dubalen] de l’inscription — il ne dit rien du petit fragment — comprend sur la droite, un caractère (incomplet) de plus que le dessin publié dans la REA [en 1914] (…) Les quatre premiers caractères sont a.n.ba.i ; le cinquième semble être l et non ca. Quant au dernier, un cercle de tracé irrégulier, il peut représenter r (cf. inscr. n° 45 de Gómez-Moreno) ou cu ou gu (variante sans point central). On peut donc lire ce mot anPailCu, ou anPaicar, ou anPaiCaCu » (Lafon, 1956 : 7).

L’éminent bascologue signalait que l’inscription découverte et décrite par Dubalen « provient du tertre sépulcral d’Aubagnan (tumulus III du hallstattien prolongé). Elle est ignorée de beaucoup de spécialistes des langues écrites en caractères ibères (c'est nous qui soulignons). Le mot — ou partie de mot ? — qui la compose ne figure pas dans le précieux lexique publié par M. Antonio Tovar en 1951, Léxico de las inscripciones ibéricas (celtibérico e ibérico) » (Lafon, 1956 : 6).

 

René Lafon avait par la suite analysé cette inscription ainsi que celle qu’il avait découverte en compagnie de Maurice Prat. Il concluait à propos de la première, c’est-à-dire AnBil (cf. le nom et patronyme basques Enbil) la lecture du dernier signe n’étant pas assurée :

 

« S’il faut lire anPailCu et si ce mot figure vraiment sur un équipement de guerre, on pourrait penser au mot basque abail, abaila, « fronde », dont il existe une variante angaila en guipuzcoan de Tolosa. Mais dans abail il n’y a pas d’n, et rien ne permet d’affirmer que angaila provient d’une forme plus ancienne *anbaila. De plus, l’élément -Cu reste inexpliqué. Si le 5e caractère doit être lu Ca et le 6e r, la fin, anPaiCar, est identique au mot PaiCar, qui figure deux fois dans une inscription ibère de quatre mots trouvée à Tivissa, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Tarragone. On ignore ce qu’il signifie » (Lafon, 1956 : 9-10).

 

La seconde inscription découverte en 1956 se lit, d’après René Lafon, PeTiTeen.

 

L’auteur concluait : « Il est donc probable que les deux inscriptions trouvées à Aubagnan sont en langue ibère ». Il ajoutait : « Si elles sont, comme je le pense, en langue ibère, elles confirment sans doute que des objets ibères ont pénétré en Aquitaine » (Lafon, 1956 : 10).

 

Autrement dit, ces découvertes semblent laisser supposer que les Aquitains entretenaient, à un degré qui nous échappe, des contacts avec les Ibères du Levant espagnol ou bien, plus simplement, dans l’hypothèse où il se fût agi d’objets aquitaniques d’origine autochtone, ce qui est plausible que les Aquitains étaient étroitement apparentés aux Ibères. Ce n’est pas, toutefois, l’avis de Joaquín Gorrochategui :

 

« Los textos en escritura ibérica [en Aquitaine] constituyen un testimonio aislado dentro del conjunto de documentos epigráficos atestiguados y podemos afirmar (c’est nous qui soulignons) que se trata de textos escritos en objetos importados y por ello ajenos totalmente al ámbito cultural y lingüístico aquitano » (Gorrochategui, 1984 : 50, § 3.2.1).

 

Dispose-t-on de preuves permettant d’étayer ce type d'affirmations ?

A ce jour, si ces preuves existent, elles restent cependant inconnues de la communauté scientifique.

 

Il semblerait qu’il base ses affirmations sur les dires, qu’il cite, d’Untermann (1980 : 45, § 8.3), à savoir : « Ebenfalls fremd an ihrem Fundort ist wahrscheinlich die Inschrift auf einen Silbergefäß aus Aubagnan (B.10.1) : es ist möglich, daß dieses Gefäß aus der iberischen Narbonensis nach Aquitanien gebracht worden ist ; es könnte aber auch über die Pyrenäen herübergekommen sein », soit : « Egalement étranger à son gisement est probablement [Untermann n’affirme rien] l'inscription sur un récipient d'argent d'Aubagnan : il est possible [il se garde bien ici aussi d’affirmer quoi que ce soit] que ce récipient de l’Ibérie Narbonnaise ait été apporté en Aquitaine ; cependant cela pourrait aussi être venu de l’autre côté des Pyrénées ».

 

René Lafon soulignait, on l’a vu, à propos de la découverte d’Aubagnan : « [des] bijoux exceptionnellement précieux indiquent bien la richesse d’un chef puissant ». Or dans ce type de recherche, il faut toujours se poser des questions simples, car ce sont souvent les plus pertinentes. Les principales questions en l’occurrence sont :

 

1) Pourquoi « diable » un chef ibère se serait-il fait enterrer en Aquitaine si celle-ci n’était pas elle-même une terre ibère et s’il n’en était pas lui-même originaire ?

 

2) Pourquoi et comment un chef ibère aurait-il pu s’« égarer » en Aquitaine jusqu’à y mourir et s’y faire enterrer avec ses bijoux ?

 

3) Pourquoi les Aquitains, s’ils n’étaient pas des Ibères, se seraient-ils fait enterrer avec des objets contenant des inscriptions ibériques ?

 

DUBALEN, P., 1914, « Tombes aquitaniques », Revue des Etudes Anciennes, pp. 217-218.

GAVEL, H., 1931, « Le problème basque », Revue Géographique des Pyrénées du Sud-Ouest, pp. 222-230.

GORROCHATEGUI, J., 1984, Estudio sobre la onomástica indígena de Aquitania, Université du Pays Basque (UPV-EHU), Bilbao.

LAFON, R., 1956, « Protohistoire des Landes. Les inscriptions en caractères ibères d’Aubagnan et les inscriptions latines d’Aire-sur-l’Adour », Landes de Gascogne et Chalosse. Actes du IXe Congrès d’Etudes Régionales tenu à Saint-Sever les 28 et 29 avril 1956 in Fédération historique du Sud-Ouest, Bulletin de la Société de Borda, pp. 5-10.

UNTERMANN, J., 1980, Monumenta Linguarum Hispanicarum, II, Wiesbaden.

 

 
 



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